Dr Olivier Piedfort-Marin

Docteur en psychologie Ph.D. Psychologue spécialiste en psychothérapie FSP/fédéral

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Transfert et contre-transfert en EMDR – Quelques éléments complémentaires à l’article paru dans le Journal of EMDR Practice and Research.

par Olivier Piedfort-Marin | 3 avril 2019
Image Transfert et contre-transfert en EMDR – Quelques éléments complémentaires à l’article paru dans le Journal of EMDR Practice and Research.

L'enseignement de l'EMDR - surtout en début de formation - peut donner l'impression qu'il faille apprendre par cœur le protocole et le pratiquer avec loyauté et fidélité pour avoir des succès thérapeutiques. Bien sûr les aspects inter-subjectifs entre thérapeutes et patients – en particulier dans les cas « complexes » même si cette notion de complexité est complexe à définir ! - sont primordiaux, peu étudiés en EMDR et doivent l'être davantage. Néanmoins le travail sur le transfert et le contre-transfert en EMDR doit se faire dans un cadre théorique. Dans le champ de la psychanalyse l'utilisation du contre-transfert se fait dans un cadre clair par rapport aux théories sous-jacentes. D'ailleurs, comme je l'explique dans mon article, il y a eu et il y a encore des compréhensions et des utilisations différentes du contre-transfert en psychanalyse. En TCC on utilise d'autres termes mais cela revient à parler du contre-transfert dans un cadre théorique spécifique, p.ex celui de la théorie des schémas.

En EMDR, Mark Dworkin a proposé un cadre théorique pour l'utilisation du transfert et du contre-transfert mais cela est malheureusement trop peu pris en considération et son travail n’est sans doute pas reconnu à sa juste valeur. Mes propositions dans mon article veulent amener une structure dans l'analyse et la compréhension du transfert et du contre-transfert en EMDR, structure qui soit aussi abordable pour des non-psychodynamiciens. Il est en effet primordial de donner une structure à ce travail et ne pas le laisser à la libre fantaisie de thérapeutes qui pourraient mélanger créativité et agissement répondant à leurs propres besoins conscients ou inconscients, comme par exemple le besoin de toute-puissance. Car l'EMDR (comme d'autres méthodes et approches) a certaines caractéristiques qui peuvent donner à certains thérapeutes un sentiment de toute puissance et les patients sévèrement traumatisés sont mal préparés pour faire face à de tels thérapeutes.

J'ai proposé ailleurs (conférence AFTD 2018 et bientôt dans un article à paraitre dans la Revue Européenne du Trauma et de la Dissociation) que les aspects contre-transférentiels sont fréquemment liés à des traumatismes, traumatismes d'attachement, expériences adverses ou conflits chez le thérapeute, expériences qui sont activées dans le travail avec un patient donné. L'attitude du thérapeute est donc sa réaction à l'activation de ses propres traumatismes face au patient en compagnie duquel cette activation se met en place. Parfois le thérapeute a retraité ces problématiques dans des thérapies précédentes, mais je propose que le travail sur des événements souvent lourds - travail associé à une proximité émotionnelle - fragilise les thérapeutes et peuvent réactiver des traces de traumatismes pourtant intégrés. Certains thérapeutes évitent de telle ré-activations, mentalement, ou comportementalement, d'autres agissent sous l'effet de ces ré-activations et parfois certains mettent en acte ces ré-activations. Les thérapeutes EMDR, par leur travail direct sur les traumatismes, sont plus à risque que d'autres. Ils et elles doivent donc être particulièrement vigilant-e-s dans leur travail en se questionnant régulièrement sur leur propre vécu psychique et sensori-moteur par rapport à leurs patient-e-s. Cette attitude implique aux thérapeutes EMDR une capacité à se remettre en question, à faire face aux doutes et à l'inconnu, une capacité à faire face aux émotions parfois très fortes des patients. Tout ceci avec compassion. La compassion peut être définie comme l'empathie plus le désir de guérir l'autre, ce à quoi je rajoute l'humilité du thérapeute. L'humilité implique la question suivante : qui suis-je pour penser que je pourrais faire mieux que le patient dans cette situation?! Pourrais-je vraiment faire mieux qu'il n'a fait ?! On le voit, il n'y a ici aucune place pour des thérapeutes aux traits narcissiques pathologiques.

L'attitude que je propose aux thérapeutes EMDR nécessite l'acceptation d'entrer en contact avec des zones grises ou noires de notre psychisme et de notre histoire. Et j'ai bien conscience que nous n'avons pas tous et toutes la même force qu'une telle acceptation implique. Mais attention : être fort, ce n'est pas de ne pas avoir peur, c'est de ne pas avoir peur de ressentir de la peur. Je vous invite à accueillir la peur et d'autres émotions dans le cadre du contre-transfert comme autant de messages qui nous apprennent sur nous-mêmes et sur nos patients et nous permettent d'avancer. La réponse thérapeutique à ces ressentis est subtile, complexe et subjective (c.à-d. qu’elle dépend du sujet et est unique) ; parfois reconnaître en silence le ressenti qui nous habite en tant que thérapeute suffit à libérer le processus de guérison (TAI) chez le patient. En tout cas la réponse thérapeutique nécessite un cadre théorique clair pour accompagner le thérapeute.

Ferenczi a ouvert la voix il y a un siècle. Tout ceci n’est donc pas nouveau. Il n’y a aucun cadre théorique nouveau à inventer dans ce domaine. Les cadres thérapeutiques sont à disposition depuis des décennies, tout au plus méconnus ou encore inconnus. Des adaptations sont nécessaires, par exemple adapter à l’EMDR le travail sur le contre-transfert fait dans certains courants psychanalytiques, systémiques ou cognitivistes, ou encore prendre en considération de nouvelles données ou théories utiles et les comparer, les rapprocher.

Notre métier a ceci de fascinant que nous ne savons jamais si nous avons fini d'apprendre sur nous-mêmes, ou plutôt: nous pouvons être sûrs que nous aurons toujours à apprendre sur nous-mêmes. Nous sommes tous et toutes sur un chemin. Tant que nous sommes prêts à avancer sur ce chemin, nous sommes dans la bonne voie.

Dworkin, M. (2005). EMDR and the relational imperative: The therapeutic relationship in EMDR treatment. New York: Routledge.

Piedfort-Marin, O. (2018). Transfert et contre-transfert dans la thérapie EMDR. Journal of EMDR Practice and Research, 12-4, E87-E103.

Piedfort-Marin, O. (2018). Transference and countertransference in EMDR therapy. Journal of EMDR Practice and Research, 12-3, 158-172.

Piedfort-Marin, O. (2019, in press). When the the therapist’s traumas emerge in a psychotherapy session: the use of trauma related countertransference. European Journal of Trauma and Dissociation



Francine SHAPIRO PhD 1948 - 2019

Francine Shapiro a découvert l'EMDR et a dédié sa vie à son développement au niveau théorique, clinique et humanitaire pour le bien des personnes qui souffrent de traumatismes. Son idéal était que l'EMDR puisse guérir les séquelles de violences pour favoriser la paix. Elle est décédée le 16 juin dernier et repose maintenant en paix.

Voici un interview d'elle à voir et revoir ICI